Kafka, Famille je t'aime moi non plus
Dans l’ensemble de l’œuvre de Franz Kafka, la question de son origine est récurrente autour de l’impossibilité de trouver sa place entre le présent et le passé, poids constant sur ses épaules, notamment à travers la religion, le judaïsme, dont il a été coupé. Sa relation à la question généalogique est compliquée, il est en effet en proie à une crise identitaire : né à Prague, de langue allemande et de religion juive, il peine à trouver sa place et estime n’avoir «aucune part personnelle à une tradition quelconque».
Il a du mal à s’inscrire dans une histoire familiale, entre celle qui l’a produit, et celle qu’éventuellement il produira «sans ancêtres, sans mariage, sans descendants, avec un violent désir d’ancêtres, de mariage, de descendants. Tous, ancêtres, mariage et descendants me tendent la main, mais trop loin de moi. Il existe pour toutes choses, pour les ancêtres, le mariage, les descendants un substitut artificiel, pitoyable. On créer ce substitut dans les spasmes de la douleur, et à supposer qu’on ne soit par la seule violence des spasmes, on l’est par la pauvreté désolante du substitut».
Pour lui mariage et famille sont une part indispensable de l’accomplissement d’un homme et il souhaite s’inscrire dans une lignée, une histoire généalogique mais peine à le faire. La notion de tradition semble centrale dans sa vie et son œuvre, et il cherche à l’explorer, en atteste son goût pour le théâtre Yiddish et l’étude de l’Hébreu.
À l'inverse, Kafka vivait le célibat comme une délivrance et une malédiction: «le chemin vers Dieu passe par la famille et la femme». Mais son ambivalence ne s’arrête pas là, en effet si d’un côté il explore la tradition, il essaie d’un autre de la fuir et la voit comme une malédiction. Du fait de la pluralité de sa religion, sa nationalité et sa langue il se sent mis au ban de la société et cet héritage familial aurait mis son existence en danger, en sursis dès sa naissance, notamment au vu de sa religion et du contexte régnant à l’époque. Survivre serait plus pour lui de l’ordre du défi. Comme un écho tragique à cette réflexion, ses trois sœurs Elli, Valli et Ottla périront en déportation, 20 ans après sa mort.
Cette relation conflictuelle avec la tradition est aussi liée à celle très tourmentée qu’il partageait avec son père, basée sur la peur. La figure paternelle est pour lui source de conflit, lui faisant perdre le sens de la famille, qu’il aura uniquement avec sa petite sœur Ottla, à laquelle il écrira une série de lettres publiée dans Lettres à Ottla.
Kafka ne fondera jamais de famille, se jugeant incapable d’être un bon mari et bon père de famille, voire même indigne de cela.
Morale de l'histoire : derrière chaque écrivain se cache une histoire, comme derrière chaque personne, avec ses blessures et ses espoirs.